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Pourquoi, raide comme une trique, engoncé, sans jambes, souvent sans bras, le poupard s'est-il si longtemps maintenu aux côtés de la jolie poupée ? Sans remonter à la nuit des temps, le poupard semble bien s'inspirer de ces quilles en bois, à peine ébauchées. Il s'inspire aussi de la façon dont on emmaillotait les nourrissons pour éviter les malformations des membres. Et c'est probablement la raison numéro un de son succès: il est le bébé de l'enfant. Le poupard se développe partout, car le moulage est une technique connue, les matériaux ( déchets de papier, carton, parfois plâtre ) sont faciles à travailler et bon marche. Le poupard devient populaire et rural : rappelons qu'au milieu du XIXème siècle, en 1861 par exemple, les ruraux représentent 71% de la population française. Pour une paysanne, le poupard est simple d'aspect, donc honnête et pas prétentieux comme ces poupées " mijaurées " qu'on propose à la ville. De plus, il n'est pas fragile -bien qu'il craigne l'eau-, et il n'est pas cher. Le problème des vêtements explique la seconde raison de son succès. Parfois naïvement peints, les " vêtements " sont simplifiés a l'extrême, et quand ils sont cousus, ils gardent ce côté " fait à la maison ", peu sensible à la toute dernière mode; ils sont en bonne laine ou en vrai coton, jamais en soie tapageuse qui pourrait donner des idées de luxe aux fillettes. Car le jouet vu par les parents doit d'abord être moral. Pour les enfants, c'est différent: jouer avec un poupard peu fragile, c'est pouvoir jouer librement sans se faire gronder à chaque instant.
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- LA DECADENCE. Le poupard avait donc de nombreuses qualités. A-t-il évolué? Oui, et comme la poupée, avec l'acquisition des mouvements, pour faire " vivant ". En 1844, Rousselot ( Brevet n° 228 du 15 octobre ) voudrait le transformer en " poupard mécanique, avec un corps en carton creux, un buste d'Allemagne avec des yeux d'émail et des dents...les bras en fil de fer recouverts de peau, formant ensemble les bras et les mains, le tout posé sur un train en fer à trois roues en étain supportant une boite dans laquelle est un ressort servant à mettre en mouvement les dites roues...une ficelle servant à faire lever et baisser les bras...Le dit poupard est habillé en étoffe de laine bleue; tablier en batiste blanche garnie de rubans bleus et par dessus le bonnet, un chaperon en même étoffe que la robe, garni d'une plume et d'un galon d'argent faux. Dans sa main droite est un tambour à main ". Dehais-Laforest en 1847 propose " des poupards de différents genres ". En 1857, Hiecmann-Bataille fabricant de poupées en peau, " nues et déshabillantes " annonce aussi des " poupards tournants et criants ". En 1861, Chalte-Leborgne propose des poupards en carton. En 1866 Besse ( ancienne maison Raymondet ), fabrique et vend des jouets d'enfants, poupées et poupards en mouvements. En 1867, Louis Danjard prend un brevet ( n°76.201 du 25 avril pour des " têtes à bonnets ou poupards ". Mais peine perdue...En 1878, avec l'arrivée du Bébé Jumeau, le changement est évident et Rossolin écrit dans son " Rapport sur la Bimbeloterie " : " A peu près tous les genres de poupées figuraient à l'Exposition; cependant, nous avons pu constater quelques lacunes, telles que la poupée très commune en carton moule et l'ancien poupard. Il est vrai que ces articles, quoique d'un prix très modeste, sont maintenant délaissés, parce qu'on leur préfère des objets d'autres genres bien mieux faits et qui ne sont pas beaucoup plus chers ". |
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Les besoins ont évolués, les jouets aussi. En 1889, à l'Exposition, le poupard est vu comme " la poupée du pauvre ". En 1900, le rapporteur constate :" Les visiteurs de l'Exposition Universelle de 1900 ont pu admirer une ample collections de poupées, de bébés et de mignonnettes, voire la gamme complète depuis le poupard à un sou jusqu'aux belles élégantes à 100 ou 150 francs qui savent parler, chanter, remuer les yeux et la tête ". Et puis, Les Koustari, russes mi-artisans/mi-paysans, exposent des poupards à 4 sous tandis que ceux du Siam, " étonnants de vie et de vérité " valent 6 à 7 sous. Ces prix bas finissent par intéresser les Grands Magasins, toujours soucieux de les afficher dans leurs catalogues. Cela permet de vendre mieux les prix moyens plus profitables. Vers 1894, ils lancent les " Bébés Maillots ", mi-poupards ( tête et corps en cartonnage ), mi-nouveaux-nés avec bras et maillot. Madame Henriette Le Montreer dépose une marque " Le Trottin ". La guerre de 1914, dans un élan patriotique, amènera une redécouverte du poupard. Dans l'Art Français Moderne ( Les Jouets de France ) de 1916, on peut lire : " La poupée populaire n'existe pas...tout le monde connaît l'affreux poupard à treize sous, le gnome amorphe de carton peint, en forme de quille que surmonte une tête à cheveux noirs avec des yeux en boule et deux grosses plaques rouges sur les joues. C'est pourtant l'être aimé, l'être adoré qu'habillent et déshabillent, qu'embrassent et prennent avec eux dans leur lit des milliers d'enfants pauvres dont les parents n'ont jamais fait d'emplettes de jouets qu'au bazar ou dans la voiture roulante du colporteur... |
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Mais rien n'y fait, cette relance ne durera pas, le poupard est dépassé et condamné. Chargé d'émotions enfantines, plein de tendresse cachée, le poupard vit toujours grâce aux collectionneurs, peu nombreux, qui le recherchent, le sauvent, le protègent, l'aiment. Albert BAZIN < > |
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