" Les marionnettes sont des figurines représentant des êtres humains ou des animaux, actionnées à la main par une personne cachée, qui leur fait jouer un rôle. Elles se distinguent des poupées et des pantins en ce que ce sont moins des jouets d'enfants que de petits acteurs en miniature, destinés à paraître sur les théâtres qui font pourtant les délices des enfants du premier âge."

(H.-R. D'Allemagne, Histoire des jouets )

" La marionnette est ambigüe et magique, tant il est vrai que jusque dans l'inaction , elle apparaît encore douée d'on ne sait quelle existence...."

( Michel Hannoun, Député de l'Isère.)

  Cette inattendue et extraordinaire marionnette picarde provient d'un théâtre amiénois de marionnettes à tringle, le " Théâtre des Amis de Lafleur ", créé en 1929 par Jacques Villeret.Ò

 Ce théâtre fut l'un des très nombreux théâtres de la région picarde dont le genre, était très apprécié à l'époque. Il fut le plus réputé. De nombreux articles de presse lui ont été consacrés et des nombreuses réfèrences à celui-ci existent, notamment dans un ouvrage intitulé " Marionnettes et Marionnettistes de France " de Charles GERVAIS - ouvrage des années 40-50 -.
  Issu d'une véritable tradition régionale, celui-ci avec le dénommé " Lafleur " n'eut pourtant pas eu le rayonnement de Guignol. Il puise cependant ses racines dans l'esprit révolutionnaire de la fin du XVIIIème mais subit l'influence des nombreux théâtres ambulants qui installaient leurs tréteaux depuis le XVIème siècle à Amiens.
 


    Héritière d'une tradition bicentenaire, A miens est devenue peu à peu la capitale française de la marionnette à tringles et à fil. Les premiers marionnettistes sont apparus au XVIIème siècle. A l'occasion de la foire de Saint-Jean-Baptiste, les habitants de la région d'Amiens pouvaient assister à de petits spectacles donnés aux abords de la Cathédrale.

    De nombreux théâtres de marionnettes vont fleurir aux quatre coins de la ville jusqu'à la veille de la première guerre mondiale. " La Belle Epoque comptait plus d'une vingtaine de salles réparties dans chaque quartier dont cinq sur Saint-Leu. Les pièces données sur Amiens étaient reprises dans ces salles sous forme de bouffonneries interprétées par des petits personnages de bois. C'était le théâtre du pauvre..." précise Françoise Rose, Directrice du Théâtre d'Animation Picard.

    Leur héros, un certain Lafleur, chef de file, est un joyeux drille dont la gouaille égratigne parfois notre société contemporaine. Il est si célèbre qu'une place d' Amiens porte son nom. Il est à Amiens ce que Guignol est à Lyon. Il semble d'ailleurs lui être contemporain. Mais contrairement à Guignol, Lafleur est une marionnette à fils (un à chaque membre) et possède une tringle très visible métallique fixée dans la tête. L'ensemble est manipulé par une " croix d'attelles ".

    C'est un valet, fier, menteur, ivrogne mais toujours de bonne humeur. Comme Guignol, c'est un redresseur de torts, toujours en désaccord avec les gendarmes ("les cadorets"), toujours prêt à tirer son maître des mauvais coups. Il prend petit à petit le caractère de l'authentique Picard. On lui adjoint une femme Sandrine, un patron, une patronne et enfin des gendarmes, gardes champêtres et soldats. Dans les théâtres où ces personnages évoluent, on les nomme des cabotins, plus exactement des "cabotans ". Ce terme vient de cabotin/cabotine lequel signifie entre autres, " Comédien ambulant, Personne qui joue une comédie bruyante pour se faire valoir !.... Ce mot utilisé en Picardie et spécialement à Amiens où la tradition est encore vivace n'existe pas semble-t-il au féminin, la grande majorité de ces marionnettes à fils et à tringle étant du genre masculin. Il désigne ces marionnettes, très locales et réellement très spectaculaires tant par la qualité superbe de leur réalisation artisanale que par l'esprit frondeur du bavardage haut en couleurs qu'elles véhiculent.

    Après la première guerre mondiale, le développement du cinéma fit du tort à ces théâtres et ce n'est qu'à partir de 1933 que Lafleur et ses amis réinvestirent la scène amiénoise avec la création de " Chés Cabotans d'Amiens " par Maurice Domon, marionnettiste et fervent défenseur de la langue picarde, qui fonda alors sa propre compagnie. Mais la seconde guerre mondiale marque une rupture dans l'activité de ce passionné. Il relancera pourtant ses petits " cabotans " dès 1944 sur les planches de nombreux théâtres français et européens. Lafleur, Sandrine et T'Chot Blaise deviennent au fil du temps de véritables ambassadeurs de la culture picarde dans le monde. Leur succès consacrera la compagnie " Théâtre Officiel Permanent de la Ville d'Amiens " en 1967.
 

 

Croix d'attelles réunissant les ficelles et la tringle qui permettent de commander les mouvements à la marionnette.

    Cet art vivant passe avant tout par la promotion de la langue et de la culture picardes. " Lafleur incarne justement l'âme de notre région, c'est un porte-parole, un justicier à la fois gai, frondeur et colérique..." souligne Françoise Rose. Pendant plus de trente ans Françoise Rose et son équipe se produiront dans des théâtres en kit avant d'investir en 1987 un lieu permanent de diffusion, une ancienne usine de fabrication de velours, située au cÏur du quartier Saint-Leu, réhabilitée et financée par la Ville d'Amiens, le Conseil général de la Somme, la Région Picardie.

   " Chés Cabotans d'Amiens " sont jumelés depuis maintenant plus de vingt ans avec Tchantchès le héros liégeois et, depuis plusieurs années avec Guignol, la célèbre marionnette lyonnaise. " Il ne manque plus que Caragueuse, le turc, pour réunir les ' 4 mousquetaires ' célèbres de ces marionnettes "...imaginait Françoise Rose. Tout au long de l'année, un vaste public, écoles maternelles, collèges et lycées, , universitaires, congressistes, touristes français et étrangers sans compter de nombreux picards viennent rire notamment d'eux-mêmes à travers ces bouffonneries, formidables tranches de vie taillées dans la langue et la culture d'une région pleine de talents.

   C'est donc " cette " Bécassine - pièce unique -, petite "cabotan " en langue picarde, " el tchote " Bécassine, qui vit le jour vers 1930. Unique exemplaire acquis à Amiens même, chez un collectionneur tout à fait passionné et passionnant des " cabotans ", Frédéric HEDUIN, docteur en médecine a bien voulu nous constituer un véritable dossier sur ce sujet dont il possède une partie des archives. Il nous a bien précisé que le terme de " cabotan " était apparu pour la première fois dans des publications picardes de la fin du XIX ème et qu'il ne s'applique qu'aux marionnettes à tringle et à fils de cette région.

   Entièrement sculptée par un artiste amiénois d'origine italienne Magnan, cette " Bécassine " est en bois massif et son expression très vivante ne laisse pas de surprendre 

   D'une hauteur totale de 1,4O m. la marionnette elle-même mesure 53 cm. Bien entendu, elle est complètement articulée : les épaules rejoignent les coudes par des fixations de cuir, languettes étroites, noires solidement fixées. Elle n'a dont pas de bras mais des longs morceaux d' avant-bras prolongés par de jolies mains bien dessinées.
   
   Même système entre les aines et les genoux mais il existe de cuisses coupées de moitié en longueur . Les chevilles sont tout à fait mobiles( voir description ci-après). Enfin le cou est, bien sûr, pivotant. Les yeux sont en bois, à fleur de tête, sculptés dans la masse, très vivants, très expressifs, d'un beau noir de geai, et surmontés de sourcils bien dessinés en arc bien allongé. Elle était dotée d'une perruque en crin semble-t-il ( ? ), couleur filasse, collée sur le crâne. Des restes existent encore sous la coiffe. Une belle bouche fermée tout sourire, du même rose que ses belles joues roses, permet de la situer au plus tard en 1930 pour sa création. Il semble bien en effet qu'après cette année-là, Bécassine l' ait définitivement perdue !

 

Détails de la main et de sa jonction avec le corps 

Pied, demi-cuisse et jonction par tisssu avec le corps

   Tout à fait classique le costume bien précis est absolument respectueux de celui de l'héroïne de J.P. Pinchon (1) : sa robe est en lainage vert foncé, à plastron rouge comme il se doit, passée sur une chemisette de popeline blanche. Les chaussettes à rayures blanches et rouges alternées bien connues, sont en coton tricotées main. Ses chaussures noires, tout à fait rustiques, à forte semelles et talons doublées de fer sont sculptées dans la masse du bois et font corps avec les chevilles, elles-mêmes articulées sur le tibia. La coiffe est tout à fait conforme à celle que l'on a l'habitude de lui voir portée . Son jupon est en popeline blanche bordé d' une belle et large dentelle blanche, ce qui n'a rien de contradictoire.

Articulation des chevilles


Chaussures , c'est à dire en picard " chabots "

   En effet le jupon de vichy à petits carreaux blancs et rouges, assorti au petit baluchon, n'apparut que sur les réalisations de Reine Dégrais, c'est-à-dire après la fin de la seconde guerre mondiale.

   Et dans les dessins de J.P.. Pinchon, il est toujours uni et rouge et son héroïne est dotée d'un sac de voyage fond jaune à carreaux verts. Pas de petits carreaux donc ni de baluchon mais bien sûr un parapluie qui n'a pas été confectionné pour elle mais qui est un parapluie des années trente, pour petite fille, dans les tons rouges rayé.

1 ) Je n'ai malheureusement aucun détail car les faits sont anciens ( soixante quinze ans !.... au moins....!) mais à l'époque, J.P. Pinchon qui était picard et donc, du coin des " cabotans ", avait été sollicité ou était intervenu au sujet de cette marionnette. Le fait est certain mais la teneur de son intervention reste imprécis. A-t-il été sollicité pour donner son idée, sa pâte, un conseil...... Ou au contraire a-t-il mis en garde le sculpteur, Bécassine étant à l'époque et depuis 1910, déposée, marque et label ? Impossible d'en savoir davantage pour le moment..

2) Le plus célèbre d'entre eux, les Bouffes-Picard, ferma ses portes en 1911. L'apparition du cinéma et l'essor des manifestations sportives entraînèrent également le déclin du théâtre de marionnettes dans tout l'hexagone. 

Les " chabots " de Bécassine comme ceux de Lafleur sont

" ferrés à caboches "


Hélène BUGAT-PUJOL

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