«  Les modes évoluent et changent au cours des siècles et le XIXème encore proche de nous a été très riche de ces changements. Mais si les modes pour adultes changeaient, comme il n'y avait pas de mode enfantine, les enfants, eux étaient toujours les mêmes. Et les accoutrements dont on les affublait constituaient un défi au bon sens. Une crinoline à une petite fille de six ans ? Pourquoi pas une redingote à un poisson rouge ? ...

Et notez bien que l'on n'épargnait même pas aux enfants ces accessoires abracadabrants qui ne semblaient pourtant conçus que pour avantager leurs mères qui, en réalité, jouaient à la poupée avec elles : c'est ainsi que les petites filles portaient une tournure en 1860 !

Des tournures à l'âge de sept ans.....! ! !

Il est vrai que si l'on se préoccupe de bon sens en ces matières, vous me demanderez aussi pourquoi les petits chiens de luxe ont un mouchoir de soie dans la pochette de leur paletot !

Contrairement à ce que l'on dit, ce ne sont pas les enfants qui ont le génie de l'imitation. Ce sont les grandes personnes qui ont le génie de faire imiter aux enfants tout ce qu'elles font pour elles-mêmes. ( Ce texte des années trente est toujours d'actualité comme vous pouvez le constater chaque jour ! )




Vous savez qu'il y a des gens qui ont coutume de répéter qu'il n'y a plus d'enfants. Et pour cause.....Mais au juste, depuis combien de temps cette locution a-t-elle cours ?
Il n'y a plus d'enfants !....... Et pourtant elle paraît  périmée aujourd'hui. Au contraire, il y a enfin des enfants, un monde et une mode pour eux.

Le vingtième siècle est, chacun le sait,  le siècle des grandes découvertes : automobile, avion, cinéma parlant, téléphonie sans fil, crochet à remmailler les bas de soie, électronique....

Mais pensez-y : c'est au vingtième siècle aussi qu'on a découvert les enfants .....
Les enfants et leur intelligence charmante, leur adorable personnalité, leur grâce et leur esprit propres...


On s'est aperçu du plaisir qu'on éprouvait à les garder auprès de soi- à la garder, à les regarder- à les écouter, à les aimer. Et le vingtième siècle est devenu celui où les enfants parlent à table ....! 
Alors on s'est multiplié pour leur plaire, pour les amuser, pour les distraire ; 



On a créé pour eux toute une littérature, des jeux, des spectacles et même de vrais journaux, nombreux et hebdomadaires qui constituent le témoignage même de l'importance qu'ont prise les enfants dans notre siècle moderne.

Et la mode d'enfants, brusquement transformée, est devenue, elle aussi, une vraie " mode " d'enfants, c'est à dire une mode à eux, une mode indépendante.

 ( Rapprochement amusant entre  la gravure de " L'Illustration " et le dessin du catalogue de Gautier-Languereau )

 
Comme le tailleur qui découd le col du veston après un premier essayage, on a arraché aux costumes de nos petites filles et de nos petits garçons tout ce qui les compliquait, tout se qui les rendait lourds, pesants et disgracieux....On a coupé, taillé, rogné, et on a pu crier enfin :
" Courez !...Sautez, dansez joyeusement et sans contrainte !...Après des siècles et des siècles, vous avez enfin votre indépendance ; vous êtes libres ! ...."
Et avec leur bérets crânement enfoncés sur la tête, avec leurs manches courtes, avec leurs chemises de sport échancrées, avec leurs jupes ou leurs pantalons courts, nos enfants, en effet, se sentent prêts à s'élancer à la conquête de la vie. Ils ont gagné leur "uniforme" d'enfants.
(Même rapprochement amusant )



Mais voici qui est plus étrange encore : non seulement les vêtements de nos enfants ne sont plus copiés sur ceux des grandes personnes mais ne pourrait-on pas dire, à présent, que ce sont les grandes personnes qui semblent s'inspirer de nos enfants dans leurs manières ?
Les jeunes femmes et les jeunes filles, sur leurs épaules, ne laissent-elles pas flotter en boucles légères leurs cheveux ; Et n'avons-nous pas vu, il y a quelques années, des mamans et des grands-mères qui portaient des robes courtes, courtes, courtes ?.....

Ce juste retour des choses d'ici-bas doit être accueilli comme un présage heureux ....»

Jean Nohain alias Jaboune



Et bien sûr, la petite poupée Bleuette suivit toutes ces transformations avec un rare bonheur !

J'ai eu le privilège, d'où cet article, de retrouver dans un numéro spécial de   " L'illustration " des années 1930, une étude de Jean Nohain. J'ai été frappée par la ressemblance 
des dessins qui l'illustrent  avec ceux  des catalogues de la même époque de Gautier-Languereau.

C'en est troublant et prouve oh ! combien que Madame Languereau habillait vraiment cette gentille poupée à la pointe de la mode. Ce qui,  justement,  la rend indémodable. Nous rencontrerions des petites filles habillées ainsi actuellement, nous les trouverions ravissantes et tout à fait à la page. Une preuve s'il en était besoin que la Mode, la vraie, la haute couture de talent, n'a pas d'âge.

Aussi, réjouissons-nous d'avoir une petite poupée que nous pouvons encore gâter en l'habillant de vêtements de cette époque avec élégance et bonheur sans aucun hiatus !


Helene BUGAT-PUJOL


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