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Les fabricants du XIXème Siècle se sont efforcés de rendre leurs poupées de plus en plus attrayantes, articulations des corps, habillements de plus en plus luxueux, recherche d'expressions du visage le plus proche de la réalité et de la vie. Il ne leur manquait plus que la parole. Des inventeurs ingénieux s'y employèrent.
Le premier généralement cité est Jean MÆLZEL. "Désirant contribuer autant que possible à l'agrément des enfants de France" il a "composé un enfant mécanique dit" Poupée parlante" qui prononce très distinctement les mots de Papa et Maman." Il s'est "empressé d'en offrir le premier modèle à S.A.R. la Duchesse de Berry, qui en était très satisfaite ainsi que son auguste enfant (futur Comte de Chambord)...." Le système, comme ceux qui le suivront jusqu'à EDISON, tourne autour d'un soufflet qui envoie de l'air dans une anche ou un bec de flûte. Suivent un ou plusieurs trous susceptibles d'être obturés ou non, pour obtenir des nasales ou labiales. C'est sur ce même principe qu'un grand nom des automates, Alexandre Nicolas THEROUDE, "sonorisa" dès 1854, certaines de ses créations, que ce soit le mouton qui bêle, l'enfant au berceau, disant "Papa" et "Maman",ou le chien aboyant.......
Ci-contre et ci-dessous à droite: Jumeau parlante. (Photos Farkas) |
Marie CRUCHET (ou "Père CRUCHET" était un ancien marin de Trafalgar reconverti dans la fabrication et la réparation des jouets et automates) eut le mérite de simplifier le système des soufflets (Brevet du 29 Août 1855), diminuant à la fois le prix de revient du mécanisme et le volume de celui-ci.
Outre-Rhin, les fabricants ne demeurèrent pas en reste : A Sonneberg, Christophe MOTSCHMANN, "bossierer" ("Travailleur en bosse", modeleur, fabricant d'objets en pâte à sel, en papier mâché....) prit, en 1857, un brevet pour un mécanisme disant "Papa", "Maman". Deux ficelles permettaient d'agir sur les yeux ou la voix. Jules-Nicolas STEINER prit en 1862 un brevet pour un "Bébé parlant automatique", disant soit "Maman", soit "Papa", suivant qu'il est couché ou debout. (D'autres auteurs indiquent que debout, le Bébé disait "Papa" et "Maman", et pleurait lorsqu'il était couché. Les deux modèles ont pu exister). Le fonctionnement était assuré par un ressort. En 1863, prise d'un nouveau brevet pour un mécanisme parleur à ficelles cette fois. Avant 1870, la poupée parle grâce au soufflet et au cordon placés dans son corps, généralement dans son ventre. En tirant sur le cordon, on actionne le soufflet, provoquant ainsi des paroles alors mécaniques. La maison BRU suit le mouvement et dépose en 1867 un brevet pour une "Poupée criante", et en 1872, un brevet pour un "Bébé surprise" contenant un mécanisme musical.
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Vers 1870-1890, sous l'impulsion de Jules-Nicolas Steiner, on utilise un mécanisme d'horlogerie - et non plus les ficelles - pour faire parler les poupées. Situé dans le corps, il se remonte à l'aide d'une clef. Les sons sortant de la poupée ressemblent plus à des gémissements qu'à de véritables paroles !
Puis vinrent Edison et son phonographe.....
Jusqu'alors, la voix n'était pas reproduite, mais synthétisée, plus ou moins habilement, plus ou moins simplement, par le passage d'air comprimé (par une poire, un soufflet, un piston dans un cylindre...eux-même mûs par ficelle, ressort...etc.) sur une anche, ou une membrane, ou une association anche et pavillon à ouverture variable. Avec l'invention ( disons la "mise au point" de l'invention de Charles Cros en avril 1877 ) d'EDISON, la voix allait être enregistrée et reproduite et non plus fabriquée.
Dans sa première machine, en décembre 1877, Thomas Alva EDISON utilisait une feuille d'étain peu musicale. L'audition est améliorée par Charles Summer TAINTER qui remplaça cette feuille par un cylindre de carton enduit de cire. En 1888, William W. JACQUES, citoyen américain, céda à l' Edison Phonograph Toy Manufacturing Company un brevet associant poupée et petit phonographe.
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A en croire le numéro du 26 Avril 1890 de la revue Scientific American, il aurait été produit en 1889, 500 poupées parlantes et chantantes, par jour ! Ces poupées étaient assemblées à West Orange (New Jersey) avec des têtes Simon & Halbig (Moule 719 ) ou Heubach ( Moule 224 *). Elles mesuraient 22 inches ( environ 56 cm ). Environ cinq cents jeunes filles chaque jour enregistraient des disques. ( " L'Illustration " 17 Mai 1890 ). Le succès de ces poupées fut très mitigé : Le cylindre recouvert de cire s'usait rapidement et n'était pas amovible. L'ensemble était assez fragile. Sur dix mille poupées qui auraient été assemblées, cinq cents seulement furent vendues complètes....et presque cinq cents furent renvoyées par les acquéreurs déçus.
Monsieur Samy Odin , Directeur du Musée de la Poupée-Paris, nous a félicités pour notre article....mais a relevé une erreur, fréquente semble-t-il, et que nous avons bien involontairement reproduite :
" ... Au sujet de la poupée d'Edison, le moule 224 ( jadis erronément attribué à Heubach ) est de fabrication Bähr & Pröschield...." Nous sommes ravis de cette participation de nos visiteurs, surtout lorsqu'ils sont de la qualité de M.Odin, que nous remercions vivement de cette précision.
Mais la poupée parlante Edison eut un grand mérite : Celui de figurer parmi les phonographes au Stand de l'Exposition Universelle de 1889 à Paris. Emile JUMEAU remarqua cette invention, déjà relatée par des articles parus dans l'lIlustration et dans La Nature. Voulant assurer la constante suprématie de sa Maison, il se doit de mettre à son catalogue des Bébés qui parlent réellement. Il se tourne donc vers un horloger de grand talent : Henri LIORET . ( Ce denier en 1866 est, à 18 ans, le premier de sa promotion à l'Ecole d'Horlogerie de Besançon.. Ayant ouvert son propre atelier, il est connu pour la création d'une montre réveil " le Grillon ". Il réalisa aussi, sur commande gouvernementale, une pendule offerte au Tsar ).
Celui-ci se passionna pour la gageure qui lui était soumise : créer une poupée-phonographe, pouvant être mise entre les mains pas toujours habiles des fillettes, d'une meilleure qualité sonore que celles existantes, et....ne pas tomber dans le domaine des brevets déjà pris par les concurrents. Il eut alors l'idée de perfectionner non le mécanisme lui même, mais le procédé d'enregistrement.
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Puisque le cylindre recouvert de cire s'use trop vite et ne peut être copié, il oriente ses recherches sur la réalisation de cylindres interchangeables et capables de résister aux puérils enthousiasmes. Un premier brevet ( n°230.177 ) est déposé le 18 Mai 1893, visant à couvrir les perfectionnements portant " en premier lieu sur la construction du cylindre ou rouleau destiné à recevoir la gravure." A partir d'un manchon en acier on obtient par copies des cylindres en acier également. Le 28 Novembre 1893, il prend une addition à son brevet initial, pour une méthode originale de duplication de la matrice enregistrée, qui permet de produire en série des cylindres en celluloïd moins fragiles et moins sujets à l'usure que les cylindres de cire. La reproduction en série des cylindres avait un gros avantage : Elle permettait une seule " prise ", celle qui réalisait l'enregistrement en gravant la matrice en fer doux. Au début des cylindres en cire, chacun d'eux devait être enregistré. Dix ou cent poupées parlantes exigeaient que soit répété dix fois ou cent fois les mêmes mots ! D'où risques d'enrouement. On rapporte que Kammer & Reinhardt, qui exploitaient le gramophone à disques (et non à cylindres) de BERLINER avaient engagé un célèbre baryton, qui à la fin, victime d'enrouement, se mit à croasser lamentablement, s'énerva et jeta l'appareil par la fenêtre.
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De son côté Emile JUMEAU n'est pas resté inactif. Il a sélectionné un modèle, la taille 11, avec naturellement une tête bouche ouverte. Pour assurer la promotion et réaliser une étude du marché, il organise un concours auprès des fillettes dans " Mon Journal " ( Numéro du 2 Septembre 1893 ). Objet du concours : Quels sont les mots, les phrases que les petites mamans aimeraient entendre dans la bouche de leur bébé. Bien entendu la gagnante recevra un des bébés Jumeau parlant devant sortir à la fin de l'année.
Tout fut prêt pour la Noël 1893. Publicité fut notamment passée dans une revue de vulgarisation scientifique " La Nature ", le 9 Décembre 1893, ainsi qu' une réclame parue dans "La Famille" du 24 Décembre. " Mon Journal ", dans son numéro du 30 Décembre, relance l'intérêt de ses jeunes lectrices, initialement éveillé par le grand Concours du mois de Septembre. Les grands magasins (en particulier, ceux de la Tour Saint Jacques) reçurent un lot de Bébés parlants, quelques enfants privilégiés virent le Père Noël le déposer dans leurs souliers.... Le Bébé Jumeau Phonographe (qui deviendra " Le Lioretgraph Bébé Jumeau " d'après le Catalogue LIORET) était lancé. |
Voici comment cette poupée parlante était présentée à l'époque : << La poupée parlante.
Il y a quelques années, Edison eut l'idée d'appliquer son merveilleux phonographe à la confection des poupées, et de fabriquer des poupées parlantes. Nous les avons décrites il y a trois ans , mais il paraît qu'elles ne fonctionnaient qu'imparfaitement; et leur fabrication n'a pas été continuée. Un de nos industriels parisiens bien connus, M. Jumeau , dont nous avons décrit la remarquable fabrique de poupées, vient de réaliser, en France, ce qui avait jadis été entrepris en Amérique, et il confectionne actuellement une poupée parlante, qui est une petite merveille mécanique. Le phonographe employé par M. Jumeau est construit par Henri Lioret; c'est un appareil minuscule fort léger qui est enfermé dans le corps de la poupée, comme le montre la figure 1. Une plaque percée de trous que l'on voit au bas du dessin, sert de fermeture. Notre figure 2 donne, à une plus grande échelle , le détail du phonographe employé. Une boite métallique B , dont la partie supérieure est munie du cornet de résonance et dont le fond porte une pointe P, qui est en contact avec le cylindre phonographique C. Ce cylindre est enveloppé par le ruban impressionné. On monte au moyen d'une clé un mouvement d'horlogerie; le déclenchement se produit en tirant une tige A, le cylindre C se met à tourner et le phonographe fonctionne; c'est-à-dire que la poupée se met à parler :
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Le son produit n'était pas très fort. Un collectionneur, Paul CHARON (La Machine Parlante 1981) nous apprend que " Le plus ingénieux dans le mécanisme de LIORET c'est l'utilisation de la cage thoracique de la poupée pour amplifier le son : le cornet-boite muni directement de la pointe lectrice ne le distribuait qu'avec parcimonie. Du reste cette poupée ne se permettait pas d'élever la voix, elle avait été elle-même trop bien élevée pour cela, ce qui fait que, même à 15 cm, on ne comprend pas un traître mot de ce qu'elle dit..." . Le son ne devait pas être non plus très intelligible à première écoute pour d'autres personnes car la notice, collée dans le couvercle de la boite de livraison, recommandait " Pour bien comprendre la première fois il est préférable de lire les paroles inscrites sur le cylindre posé dans le Bébé " !
JUMEAU améliora la technique de reproduction des enregistrements, et prit les 5 Septembre et 20 Novembre 1894 deux brevets. Quoiqu'il en soit, et malgré son prix élevé (49 F. au lancement, puis 48 F. Au Catalogue du Bon Marché Étrennes 1894/1895, 52 F.) ce fut un succès, qui survécut (brièvement il est vrai) à la Maison JUMEAU. Le Bébé parlant était encore en vente chez LIORET en 1900. On ne sait si les corps utilisés provenaient de stocks réalisés avant la création de la S.F.B.J. ou si la nouvelle société fournissait LIORET. D'autres fabricants s'interessèrent au Lioretgraph. Ainsi Henri VICHY pour ses automates " Le Pierrot au Puits " ou " Le Zouave ", ou les Chocolats MENIER pour un Kiosque publicitaire. Après l'arrêt de la production du Lioretgraph, Max Oscar ARNOLD, fabricant de Poupées à NEUSTADT, près de COBOURG, prit divers brevets, pour une poupée parlante qui sortit dans notre pays en 1910. Elle mesurait 75 cm de haut et avait des yeux mobiles et s'appela successivement " Arnola " puis " Arnoldia ". Le pavillon du phonographe intérieur était juste à côté de la bouche. Ses disques reproduisaient des textes ou des chansons en Français, en Allemand et en Anglais. Elle fut en vente jusqu'en 1914. Il semble que le fonctionnement laissait à désirer lorsque la poupée n'était pas droite. |
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A noter, la poupée parlante possédait une robe un peu spéciale : son corsage pouvait se dégrafer aisément, afin de parvenir au rouleau enregistré. Le système rappelle celui des culottes à pont. Il est possible de voir ce genre de vêtement sur la LIORETGRAPH, du Musée de GUERANDE ( ou d'en regarder la photographie dans le "Polichinelle" de Janvier 1987, n° 25, p. 19)
Un autre brevet fut prit en 1920 par A.M. NEWMAN, pour un petit phonographe susceptible d'être introduit dans une petite poupée d'une trentaine de centimètres et de fonctionner dans toutes les positions. Nous ignorons si ce brevet a été exploité commercialement.
Après la guerre, nous sommes à l'ère du transistor, du magnétophone......Certaines poupées en profitent. Mais ceci est une autre histoire....et le sujet d'un autre article, à venir..
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