28 DÉCEMBRE 1901
 
N° 2335





   Ce numéro du Monde Illustré débute son article sur les jouets par une superbe illustration représentant un ouvrier au travail, peignant des oiseaux.
  Il est indiqué qu'il s'agit d'une photographie. En noir et blanc, elle occupe toute la grande page  de ce journal, 40 cm sur 29, juste après la couverture, donc en page 2.





L
E JOUET, ROI  DU JOUR DE L'AN 
La fabrication de « La joie des enfants et La tranquilité des parents »


         Sa légende nous confirme que pour l'époque, le jouet était le roi du Nouvel an et non pas de Noël.

  En page trois se trouve l'article lui-même, abondamment illustré des huit photos que vous découvrirez dans ce site. Ce journal date de 1901, c'est-à-dire, de deux ans après la création de la Société Française de Bébés et Jouets qui vit le regroupement de bons nombres d'entreprises  de cet ordre, plus ou moins importantes, sous la houlette privilégiée de la maison Jumeau, laquelle mis toutes ses capacités, usines, ouvriers, et carnet d'adresses etc  dans le pot commun de la S.F.B.J. Il n'empêche que longtemps, très longtemps encore, on ne parlera que des Usines Jumeau, des poupées Jumeau, du savoir-faire français incontestable qui lui était reconnu. D'ailleurs la S.F.B.J. ne signa ses productions et ne grava ses modèles qu'à partir de 1905; il lui fallut six ans pour s' y décider. Elle vécu jusqu'à cette année-là de la renommée de son prédécesseur, qui sans être son mécène lui apporta sa renommée, sa réputation.
   Voici donc cet article qui conviendra aussi bien aux collectionneurs qu'aux collectionneuses puisqu'on y parle de soldats de plomb mais aussi bien sûr de poupées.


LE JOUET

   Le jouet n'est pas ce que de vains esprits pensent ; sans tirer d'un amusement d'enfant toute une philosophie, il nous faut reconnaître que ces objets de quatre sous, que nous donnons à nos bébés, font partie de ces accessoires des peuples dont la fabrication et la pratique révèlent le tempérament et les aspirations d'une race. On juge une nation non seulement sur les occupations sérieuses qui constituent sa vie publique, mais encore sur les distractions qui font sa vie privée.
 Oscar de Watteville, qui était un philosophe à sa manière, estimait que la pipe, ce jouet de l'homme fait, était caractéristique des nationalités, courte jusqu'au brûle-gueule dans les pays laborieux, longue jusqu'à être traînée sur des roulettes dans tout l'orient rêveur et paresseux.

     Le jouet proprement dit, est, lui aussi, un signe manifeste de nos goûts esthétiques.

« Dis-moi ce dont tu joues,
 je te dirai qui tu es ! »







 En France, le jouet est élégant, inutile, empreint de ce cachet artistique qui ne manque jamais de nous donner la première place sur le marché de la beauté.
 
 L'esprit frondeur se glisse dans les rouages : la satire elle-même anime ces petits groupes animés que traînent les camelots sur les boulevards : agent de police rossé par le maraudeur ou soldat anglais recevant la fessée d'un combattant boër.

 Ne vous y trompez-pas : sans y toucher, il y a dans ces infiniment petits toute une propagande par le fait dont l'influence n'est pas à négliger.

 Notre jouet est toujours une idée qui marche.
  
                                                                                                               

    L'allemand met plutôt un enseignement où nous ne voyons, le plus souvent, qu'une spirituelle leçon de choses : il apporte à la confection de ses jouets cet esprit didactique, ce souci de l'utile et de la méthode qui caractérise ce peuple pratique et positif.

   Les hochets de leur marmaille sont des siphons, des tubes capillaires ou des vases communicants. Les bébés de Berlin trouvent un théorème de géométrie ou une expérience de physique dans leurs souliers de Noël et, quand une de leurs machines est à combinaison musicale, soyez sûr qu'elle dissimule un agréable procédé permettant d'apprendre, en se jouant, les règles de solfège ou d'harmonie.

    Il y a là tout un côté sérieux qui fait de leurs enfants ces bambins à lunette que l'on voit passer, marchant du talon, graves comme des penseurs, ayant déjà, sous la robe courte, la gravité de " Herr Doctor "

 Combien nous préférons, n'est-ce pas, les délicieuses minauderies de nos fillettes autour de leur poupées ! L'attention qu'elles apportent à leur chiffonner un bout de robe dans un bout de ruban, révèle déjà le charme de la femme qu'elles seront plus tard : c'est la coquetterie qui les fait aimer leur poupée, confirmant ainsi, inconsciemment, l'origine du jouet. Car s'il faut en croire la légende - il n'y a jamais que des légendes au début de toutes choses -

                                                                                                           

   C'est à Poppée, la femme de Néron, que nous devons nos modernes bébés Jumeau. Cette impératrice, qui poussait l'art de la toilette jusqu'au raffinement, avait coutume de se couvrir le visage d'un masque pour conserver la fraîcheur de son teint. De ce masque réduit à la poupée, les savants ne voient qu'un pas. Cette explication historique vaut ce qu'elle vaut ; les étymologistes sont d'une partialité trop avertie pour que nous leur donnions notre foi sur parole.

     Je croirais assez, pour ma part, que la poupée et les inévitables soldats de plomb ne sont qu'une manifestation spontanée de nos instincts, quelque chose comme la réalisation toute naturelle de nos désirs constitutifs et essentiels de notre être.

   On comprends alors que dans tous les pays, à toutes les époques, les jouets aient été très en honneur. En Égypte, les pantins articulés, guerriers ou artisans, faisaient la joie des gamins de l'époque. A Rome, sous le nom de " Manducus " ( note 1 ), une divinité descendait au rang de simple jouet et devenait, à travers les siècles, notre " croque-mitaine ". En Grèce enfin, le célèbre Archytas ( note 2 ) acquérait une renommée universelle en fabriquant une colombe de bois, qui, grâce à un mécanisme ingénieux, volait toute seule. Ce prédécesseur de Santos-Dumont ne se doutait pas que son invention devait se perpétuer jusqu'à nous : en effet, il existe encore aujourd'hui à Athènes, une " Fête des Hirondelles " qui compte parmi les plus curieuses cérémonies de l'Hellade contemporaine. Au printemps, des cortèges d'enfants parcourent les rues : ils portent de longs bâtons où sont fixées de grossières hirondelles en bois et comme autrefois, ces oiseaux tournent au vent sous le ciel bleu.

                                                                                   

   Cette tradition est d'origine païenne ; mais les Pontifes chrétiens n'ont pas craint de se l'approprier : ils ont placé la fête sous le patronage de Saint-Basile et le tour est joué.

    N'avais-je pas raison de vous dire que sous leur aspect puéril, les jouets comportent une philosophie, philosophie profonde, puisqu'elle vient de nous conduire à cette dernière vérité, qu'il n'y a pas de contradiction entre les religions et, qu'à bien prendre, entre le paganisme antique et le christianisme moderne, il n'y a même pas l'écart d'un culte différent .


  CORNELIUS

 





Note 1  MANDUCUS, (Littér.) espèce de marionnette hideuse; les Romains appelèrent manducus certaines figures ou certains personnages qu'ils produisaient à la comédie, ou dans d'autres jeux publics, pour faire rire les uns, et faire peur aux autres. L'origine du nom manducus vient de ce qu'on donnait au personnage qui jouait ce rôle, de grandes joues, une grande bouche ouverte, des dents longues et pointues, qu'il faisait claqueter à merveille. Les enfants, au rapport de Suétone, en étaient fort effrayés, et les mères leur en faisaient un épouvantail. Les hommes n'ont jamais su se conduire eux - mêmes, ni conduire les autres par les lumières de la raison, qui devraient seules être employées. (D. J.)


Note 2    ARCHYTAS : de Tarente. Philosophe pythagoricien ( vers ~430~348 ). Mathématicien, astronome, homme d'état et général, il trouva la solution du problème de la duplication du cube, inventa dit-on la vis, la poulie, et construisit de nombreux automates dont un pigeon volant. Il fut nommé six fois stratège de sa ville natale qu'il mena chaque fois à la victoire.Il périt dans un naufrage sur les côtes des Pouilles.





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