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En 1998 le Cercle Privé de la Poupée avait diffusé auprès de ses adhérents une communication de Madame Anne-Marie POROT sur cette rarissime poupée, dont un exemplaire avait été vendu aux enchères à Drouot, le 19 Juin 1998, sous le numéro 29. Nous la remercions très vivement de nous en avoir autorisé la publication ci-dessous. |
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Dans le catalogue de 1998 Gérard ETIENBLED, Expert, la présente ainsi: « Rare et très belle poupée mannequin française d'Alexandre LEVERD - tête en biscuit d'une grande qualité et d'un exceptionnel modelé - bouche fermée, yeux bleus en sulfure - tête mobile sur buste caractérisée par une découpe en retrait sur le sommet de la tête permettant "l'incrustation" de la perruque. Très beau corps d'origine en bois recouvert de peau avec avant-bras en biscuit. Vêtements d'origine et malle avec superbe ombrelle, manche et extrémités des baleines en ivoire. Un modèle de cette très rare poupée mannequin faisait partie de la prestigieuse collection de Madame Dina Vierny. Un exemplaire du Brevet d'Invention déposé à l'Office Spécial des Brevets d'Inventions du Ministère de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux Publics le 3 Mai 1869 sera remis à l'adjudicataire. » N.B :Un article avec photos a par ailleurs été consacré à cette poupée par l'expert François Theimer dans le volume 5 de son Encyclopedia Polichinelle. |
Trois remarques s'imposent pour cette poupée : 1°) A vrai dire, ce n'était pas une poupée Leverd stricto sensu. Leverd était un fabricant de gutta-percha ; s'il a bien breveté la poupée, nous ne pensons pas qu'il ait pu la fabriquer ( Voir le renvoi 1) 2°) Cette poupée n'avait pas des yeux de sulfure mais de cristal, d'un beau bleu de type Lauscha. 3°) Le corps n'était pas en bois mais en gutta-percha, comme décrit dans le brevet visé ci-dessus, ce qui a d'ailleurs été confirmé par Gérard ETIENBLED au moment de la vente. On pouvait d'ailleurs voir la gutta-percha, en haut du bras, sur une partie usagée. Il ne fait aucun doute que cette poupée correspond extérieurement audit brevet déposé par la Société Leverd et Cie : dans celui-ci, les articulations en particulier, sont très bien décrites et très complexes . Sous le cuir était bien intercalé du tissu pour retenir la gutta-percha qui " perd après un certain temps ses propriétés de souplesse et d'élasticité, devient friable....et se brise sous l'action des chocs. On est donc obligé afin d'obtenir des jouets moins fragiles , d'employer cette matière ère sous une forte épaisseur, ce qui ajoute un poids inutile et coûteux puisqu'on n'en obtient pas davantage la solidité désirable. " Il semblerait pourtant que ce fût la bonne méthode puisque les rares poupées connues de ce type sont encore en bon état. Le brevet explique bien et cet avantage : "Par l'effet du moulage à chaud de la gutta-percha avec le tissu, celle-là pénètre dans les pores de ce dernier et ne forme plus qu'un tout susceptible d'une extrême souplesse que le temps ne peut altérer. Ce traitement par le moulage de la gutta-percha entre deux tissus, ou même avec un seul, nous permet non seulement de fabriquer des poupées légères, souples et d'une grande solidité, mais encore nous offre de grands avantages au point de vue artistique......de plus elles possèdent l'avantage de prendre toutes les poses, de faire tous les gestes et mouvements que peut exécuter le corps humain. En effet, au niveau des épaules, une sphère fixée sur une douille métallique permettait la rotation de chacun des bras, les cuisses étaient reliées au corps par un boulon et les coudes et genoux tournaient autour d'une genouillère. |
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Ces différentes articulations étaient mi-partie en métal, mi-partie en bois, noyées dans la gutta-percha. Le tout assemblé de telle sorte que les bras pouvaient accomplir un mouvement giratoire " très prononcé......se croiser sur la poitrine sans être nullement gênés dans leur mouvement ni laisser aucun vide autour de l'articulation dans quelque position qu'on les y place,.......de chaque côté du tronc nous avons disposé deux goussets bourrés d'ouate qui se prêtent parfaitement à tous ces mouvements et dissimulent ainsi les vides que les parties mobiles laissent entre elles dans certaines positions....L'articulation des cuisses .....d'après l'angle que forment entre elles les deux surfaces planes circulaires " est telle que lorsque la poupée est assise " la position n'est pas disgracieuse comme le sont toutes celles qui possèdent une articulation qui, à première vue, paraît semblable à la nôtre.
La gutta-percha était employée pour sa légèreté et sa capacité à être moulée " mais nous pourrions aussi bien les faire soit en balata ( sorte de gutta-percha ), soit de caoutchouc, ces deux produits pouvant également être moulés avec un ou plusieurs tissus. Nous obtiendrions encore des poupées légères, souples et d'une très grande solidité.....mais outre ce tissu la poupée en général est recouverte d'une peau dont l'heureuse disposition fait que chaque plan de joint est dissimulé par un petit recouvrement de sorte que l'illusion est complète."
Cette poupée présentée à Drouot avait bien également la découpe sur la tête, sorte de dépression en creux qui " suit exactement le contour de la racine des cheveux signalée dans le brevet " pour encastrer une peau formant perruque de telle sorte que la naissance du poil se trouve affleurer le niveau restant de la ronde bosse. Il résulte de cette disposition une surface continue sur laquelle le peigne peut glisser sans éprouver aucun obstacle, quel que soit le sens suivant lequel on le conduit.
Nous supprimons donc de cette façon , les principales causes de la détérioration de la perruque et de plus nous bénéficions de l'adhérence du poil qui, bien entendu, est de beaucoup supérieur à celle du cheveu sur le tulle ". Ici la perruque en mohair était rapportée, mais il restait bien encore quelques poils d'origine implantés dans la peau collée dans la cavité réservée. |
Tout correspondait au brevet déposé par la Société Leverd. Pourtant Leverd ne fabriquait vraisemblablement pas de poupées ( 1 ), ce qui eut été pour elle un trop petit débouché. Par contre, les poupées brevetées Leverd n'auraient -elles pas pu être fabriquées par Huret ? En effet, Huret, à cette même époque, fabriquait déjà des poupées mannequins en gutta-percha moulée, selon les brevets qu'avait déposés Mademoiselle Huret en 1850 et 1861. Sa Maison était bien équipée pour fabriquer des poupées en ce matériau qu'on devait acheter.... chez Leverd. Pour appuyer notre hypothèse nous avons trouvé dans le livre de Maree Tarnowska "Fashion Dolls", page 127, une poupée qui a toutes les caractéristiques des poupées Leverd. Elle porte sur la poitrine le tampon Huret. La tête de cette poupée , que l'on peut voir habillée page 37, est bien de facture Huret. On ne peut pas l'affirmer pour la " poupée Leverd " de Drouot. Cependant on retrouve bien la forme des yeux avec un léger bourrelet palpéral et le bas du visage - menton et cou - de style Huret. Il est tout à fait plausible que Huret ait créé un modèle de visage pour la poupée brevetée par Leverd. Huret avait, depuis 1864 environ, une fabrique de porcelaine à l'Isle Adam et fabriquait ses propres têtes de poupées. On peut supposer que Leverd aurait concédé à Huret la fabrication des poupées qu'il avait brevetées. Dans la collection Dina Vierny présentée à la vente de Sotheby's d'octobre 1996, au n° 547, figurait une poupée semblable attribuée à tort à KUBELKA. Le corps de cette poupée était bien conforme au brevet déposé par Leverd, et la tête est identique à celle de la poupée présentée à Drouot. Aucun tampon signalé sur le corps, seulement BSGDG derrière la tête. Nous sommes donc en présence de trois poupées très semblables dont l'une porte la marque Huret. On pourrait penser que celle qui porte le tampon Huret ait pu avoir sa tête remplacée par Huret justement ce qui expliquerait sa signature. Mais si on les examine de près, nous trouvons le même cou large, la même forme dans la collerette et les mêmes bras et mains. Pour nous, c'est une hypothèse solide : les poupées brevetées par la Société Leverd ont probablement été fabriquées et commercialisées par Huret.
A.M. POROT |
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1) La Société Alexandre Leverd et Cie était fabricant de gutta-percha et nous ne l'avons pas trouvée dans les fabricants de jouets ou de poupées. Sources : - Catalogue de vente Drouot-Richelieu Paris 19 Juin 1998 - M°M° Poulain et Le Fur, Expert G.Etienbled. - Catalogue de vente Sotheby's, collection Dina Vierny - Londres 17 et 18 Octobre 1996. - Brevet d'invention n° 85.557-3.5.1869 - M.M. Leverd et Cie - Institut National de la Protection Industrielle Paris - Poupées articulées - Brevets d'invention 1850-1925 - J. Porot - Paris 1982 - Fashion Dolls - Marre Tarnowska - HHP 1986 - Encyclopedia Polichinelle, n° 5, 1997, François Theimer |
R E T O U R
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