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Depuis bientôt un demi-millénaire, elle a noué des liens économiques et culturels avec l'Europe. Actuellement territoire français, elle vit au goût français. Au nord de l'ile, une ancienne plantation a été aménagée en complexe hôtelier : la Plantation LEYRITZ. Rien ou presque ne signale ici, au visiteur de passage, la vocation hôtelière du site. Au coeur d'une bananeraie, sur une colline dominant de loin la mer, au hasard des chemins fleuris ou à travers de vertes pelouses, on retrouve, ici la maison du planteur, là la sucrerie, ailleurs les "cases nègres" ou encore l'oratoire, ou le jardin à la française. C'est là que vit, travaille et se détend Will FENTON. Sa vie et son travail ne sont pas l'objet de notre curiosité. Ce sont ses loisirs, tout entiers consacrés a un idéal artistique qu'il nous explique. En cette journée de janvier.où nous nous sentions quelque peu incommodés par la chaleur, Will FENTON, avec toute la gentillesse du peuple antillais, et toute la simplicité qui est le trait dominant de son personnage, nous raconte ce que fut sa vie. Est-il français, est-il anglais ? peu importe. Il est lui-même, il est antillais. Ici, à la plantation Leyritz, parmi les hibiscus rouges ou saumon qu'assaillent sous nos yeux les colibris à la tête mordorée, entre deux énormes chaudrons de cuivre d'où surgissent de délicats nénuphars à la fleur étoilée et où les petits merles noirs et gris se disputent, Will, de sa belle voix de baryton, en un parler d'une grande pureté, nous dit sa jeunesse dans l'ile de la Trinidad auprès d'une grand'mère anglaise. Trinidad, à 20 km de la côte vénézuélienne où :" sur 4828 km2, l'Europe, l'Afrique, l'Orient et l'Amérique se sont donné rendez-vous. En parcourant les rues de Port-of-Spain vous découvrirez, dans un chatoiement de couleurs, les costumes du monde entier : fez, turbans, saris, madras, tuniques, tissus des îles, soie de Chine, ...etc. " (le Guide Bleu) Quel déterminisme géographique pouvait déjà mieux orienter notre artiste ? Mais il y a plus : |
ill nous révèle avec un sourire amusé que sa mère, Martiniquaise et couturière (dont il est le fils unique) avait consacré beaucoup des loisirs forcés de sa grossesse à la consultation de gravures de mode de toutes époques. Pour elle, la science infuse de Will pour le drapé, sa passion pour le vêtement, révélés très tôt dans son enfance, auraient là leur origine. Il nous le dit sur un ton plutôt sceptique. Sceptiques, nous ne le sommes pas autant que lui. Dans, son cas, l'atavisme est une certitude. L'héritage parental est en ce qui le concerne d'autant plus certain, que son père était peintre, musicien et sculpteur, en même temps que naturaliste. Tout est donc réuni pour faire ce créateur très original qu'est Will FENTON Car - nous ne vous l'avons pas encore dit - Will FENTON crée des figurines, toutes de 20 à 40 cm., toutes habillées exclusivement de végétaux. Jamais de produits animaux, et ce n'est qu'exceptionnellement que minuscules bijoux et parures manufacturées viennent compléter ses ensembles. Si vous lui dites qu'il confectionne des POUPÉES, il ne vous en voudra pas. Si vous parlez de mannequins de mode, il pensera en lui-même que vous n'avez pas bien compris son oeuvre. Mais il voudrait que ses petits personnages fussent plutôt appelés des FIGURINES. Et nous avons compris pourquoi tout au long des explications qu'il nous a données sur la genèse de sa démarche créatrice. C'est le matériau végétal qui est son point de départ. Qui a eu la chance de contempler la végétation antillaise comprendra cette inspiration, et comprendra aussi l'abondance des "coupons" que constituent les feuillages de plusieurs mètres de long. Les fleurs tant vantées par les chroniqueurs de toutes époques et les guides touristiques, ne sont qu'un élément de sa palette. Tiges, feuillages, sépales et bractées, pelures de bulbes tout est matière à draper (comme cet arbuste qu'on appelle ici le "jupon-cancan"») à retailler, ployer ou torsader. De ses doigts habiles, notre artiste ramasse une feuille rouge de latanier tombée auprès de son siège et nous en fait en un instant une rose, tout en nous précisant que sa vocation première est celle d'un décorateur; que sa première réalisation fut - héritage paternel oblige - un oiseau impossible fait de plumes de paon artistement plantées dans un avocat. Réalisation éphémère ( l'avocat pourrit vite ! ) qui se solda par une grosse tache sur la table que sa conscience filiale lui reproche encore un peu. A l'avocat-paon succédèrent divers animaux, en particulier de ces coqs combattants qui sont une spécialité de l'ile. Mais assez rapidement ses choix se portèrent presqu'exclusivement sur les végétaux et les figurines humaines. C'est, on l'a compris, le végétal qui, par sa couleur, son épaisseur ou son relief, crée l'inspiration. Le sujet lui-même naît au cours des manipulations, quand le végétal a révélé ses possibilités. C'est pourquoi Will FENTON ne travaille jamais sur modèle, ne reproduit jamais une image, un dessin, une photo. Son trouble fut grand un jour où ayant créé une Elisabeth d'Angleterre, toute d'imagination (ou mieux, comme il le dit lui-même de "mémoire visuelle", à partir d'images peut-être entrevues dans son enfance), de retrouver a posteriori l'image réelle de ce qu'il avait voulu faire. |
'artiste connaît cependant bien la mode et les époques du costume. Ses matériaux le mènent à tous les genres, tous les styles. La collection qu'il nous montre comporte aussi bien une Cléopâtre qu'une Nana à la manière de Zola (qu'il nous pardonne : il n'aime pas donner de nom à ses "pandores") une infante d'Espagne qu'une garçonne 1920. Mais il avoue que pour l'instant ses préférences vont au Second Empire et à la fin du XIXème siècle. Il ne cherche pas à l'expliquer, mais nous croyons deviner que les grands coupons que procure la feuille de bananier permet les longues traînes, les jupes amples, les tournures bouillonnantes, les faux-culs. Que l'on ne croit pas cependant que Will aime systématiquement l'abondance. et la surcharge. Beaucoup de ses créations sont très strictes. Et c'est dans celles-là qu'apparait l'autre face de son talent. Les corps de ses personnages, qui n'ont aucun réalisme de détail (les visages n'ont pas de traits) sont d'une vérité anatomique parfaite. Gestes, attitudes, positions ont toute la grâce et la vie que l'on attendrait d'un modelage. C'est que le vêtement a besoin d'un support, d'un corps intérieur. De quoi est fait celui-ci ? Nous n'avons pas cherché à le savoir, cela eût sans doute été indiscret, en tous cas inutile. Mais nous avons pu constater que ses poupées sont à la fois légères et solides. Plusieurs de celles que nous photographiions dans son jardin furent renversées par un souffle d'alizé, sans dommage. Le végétal, matériau vivant, n'est pas sans causer au créateur désagréments et surprises. D'abord pour les couleurs. Beaucoup s'estompent ou virent lors duséchage et comme le céramiste ou l'émailleur, l'artiste doit prévoir ce que sera le ton du tissu sur l'objet fini. Si bien que ces figurines sont presque ds camaïeux où les nuances s'étalent du blanc presque pur au brun franc. Mais il y a de place en place, des pièces d'un bel orange éteint, d'autres d'un rouge sombre, des verts profonds, et puis la belle teinte aubergine de la fleur de bananier. l'ensemble est d'une très grande harmonie. Et puis, le matériau n'a pas toujours la stabilité d'une fibre tissée. En séchant le végétal rétrécit. Dans ses débuts Will avait réussi une belle crinoline dont l'ampleur l'enchantait; le lendemain, sa figurine n'avait plus qu'une mini-jupe ! Et le plus gros problème que lui pose le climat de la Martinique est celui de l'humidité ambiante, qui est forte sous ce climat tropical. Si elle permet la conservation d'une certaine souplesse pendant le travail du végétal, elle est par contre génératrice de redoutables moisissures. Ces dernières n'altèrent pas la figurine en profondeur, mais elles imposent un certain entretien et parfois des traitements de surface par des vernis. Ces traitements de surface ne font pas partie intégrante de la création. L'auteur n'utilise qu'exceptionnellement le vernis comme élément décoratif et ne repeint qu'en de rares occasions. |
On sait que certaines feuilles végétales, en séchant, perdent cette sorte d'enveloppe charnelle, cet épiderme qui leur donne la couleur, et restent à l'état de très fines nervures géométriquement enchevêtrées, qui font d'excellentes dentelles. Parfois, cet épiderme reste adhérent, par plaques de toutes formes et dimensions, et cela aussi donne des variétés de tissus très exploitables. D'autres végétaux, encore, deviennent en séchant d'une finesse et d'une transparence extrême formant de délicates mousselines. Ceux-là, il faut les doubler par collage, en général sur du papier calque. Il n'y a pas, pour cet usage, de colle idéale; plusieurs sont employées, selon l'opportunité. Aucune pièce n'est cousue. Parfois la rigidité naturelle du matériau suffit au maintien des plis. Autrement, le montage se fait uniquement par la colle, la ficelle et les épingles. Will FENTON insiste sur le fait que le choix des matériaux est illimité et qu'il suffit de bien regarder autour de soi, jusque dans les tas de déchets pour trouver un végétal utilisable. Il a fait école et son entourage a pris l'habitude de sélectionner au hasard des promenades ou du travail tout ce qui "peut servir à Will".Il évoque pour nous quelques uns de ces végétaux-tissus.D'abord le curieux bois-canon dont la très grande feuille profondément découpée est brune d'un côté et, de l 'autre, blanche avec de fines rayures noires; il en fait de jolies "cotonnades" très adaptées au vêtement masculin et plus généralement au style colonial.Le bananier par l'ampleur de sa feuille et par les nuances qui vont du rose au mauve lui procure de nombreux coupons. Du chou-caraïbe, il lui est arrivé d'utiliser plus spécialement des feuilles tachées par du désherbant, qui imitent joliment le tissu imprimé.Le jupon-cancan, bien sûr, lui est d'un bon usage; l'acaligua, qu'il faut doubler; les fleurs d'hortensia (elles sont bleues ici), et même les peaux d'oignons ou d'échalottes, dont on sait les délicates nuances dégradées ... L'énoncé serait interminable, si l'on se rappelle qu'il y a 600 ou 700 espèces végétales dénombrées dans l'ile. Et l'on n'oubliera pas non plus les écorces, les champignons, et même les pelures de fruits. L'oeuvre de Will est originale. Ce n'est peut-être pas une invention au sens strict de la nouveauté, car depuis longtemps déjà et en tous pays on a fait des figurines sans avoir recours aux produits de l'industrie; les unes d'origine animales, d'autres d'origine végétale, ou mixte. Tantôt ce sont des objets votifs, tantôt des jouets. Les figurines de Will ne sont ni l'un ni l'autre (pour nous, c'est finalement le terme de PANDORES, modèles de modes, créations authentiques, qui parait le plus convenable). Inutile donc de rappeler autrement que par allusion, les innombrables réalisations de l'art populaire, qu'elles soient à usage domestique ou objets d'un commerce rudimentaire et local. Pour méritoires qu'elles soient au plan social ce ne sont en général pas des oeuvres d'art, contrairement à ce que fait Will. On a ainsi utilisé des pommes qui, en flétrissant, donnent d'attendrissants visages de grand'mère ridées. On a pu aussi utiliser des calebasses et des cocons de ver à soie, des pommes de pin, des pruneaux (le pflaumentoffel saxon).
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es Les sujets tressés en paille ou en feuille de palmier , n'ont rien à voir avec notre sujet. Tresser est déjà une industrie, le premier pas vers le tissage: le matériau végétal change d'aspect. Il y a tout de même trois sortes de réalisations qui ont une parenté avec celles de Will. Parenté d'intention : - En France comme ailleurs, on sait bien faire des poupées avec des épis de maïs. Un matériau naturel tellement prédestiné à cet usage que l'épi lui-même est souvent appelé "poupée" par les cultivateurs. Ou bien on utilise tout l'épi avec ses grains qui constitue le corps de la poupée, et dont les "barbes" font toutes les variétés possibles de chevelures, du blond clair au châtain en passant par le roux, et les sépales, de jolies robes faciles â draper. Ou bien encore, on ne prend ,que les sépales et l'on se trouve plus à l'aise pour créer le costume. C'est d'ailleurs un matériau que WILL connait et utilise: une "étoffe" naturellement froncée qui garde longtemps à la fois sa forme et sa souplesse. - Dans les Pays Scandinaves et en Russie, les lichens et les mousses sont volontiers employés, et seuls. Les petites poupées lapones. que l'on peut voir au Musée de Montbrison {France), les "sylvains" russes, ont une allure très rudimentaire, mais ils dégagent une impression assez fascinante. - Restent enfin les figurines que l'on faisait au XIXème siècle en Suède avec l'écorce de bouleau. L'écorce de bouleau est le végétal-type qui permet ce genre de travail. Fine, souple, lisse elle présente tout un dessin de surface fait de taches et de traits sur fond blanc. Will FENTON fait oeuvre originale et intéressante en ce sens qu'il réhabilite le matériau végétal. On en arriverait presque à se demander, en voyant les vêtements qu'il réalise, pourquoi, au fil des temps, l'homme s'est acharné à traiter et maltraiter la fibre végétale pour en faire des fils ou cordons qu'il a fallu ensuite tresser ou tisser en créant une industrie de plus en plus lourde ! Mais il est vrai qu'il a fallu depuis l'origine des temps, se protéger plus que se parer, et le végétal est d'une bien inquiétante faiblesse face au froid, à la pluie ou au soleil, et à l'usage. On remarquera cependant que les tissus que l'homme civilisé utilise pour sa protection sont surtout d'origine animale : fourrures, laines et duvets. Les tissus de fibre végétale, soie, lin, se retrouvent plus volontiers dans la parure. Et c'est de la parure que fait Will FENTON. Il n'est pas interdit de penser qu'un jour, un grand couturier parisien avide d'innovation, introduira peut-être la fleur de bananier ou la pelure d'oignon dans ses créations. Si cela advenait, nul doute que le mérite de l'invention en reviendrait à Will FENTON !
Anne-Marie et Jacques POROT P.S. A lire aussi :" Will Fenton un artiste martiniquais " Ingeborg Riesser, Magazine de la Maison de Poupée, n°48, Été 1999, et courrier de Laurence Alvado op. cit. page 7 Vous pouvez également consulter les sites suivants : < www.caribin.com/martinika/fr/Ecotourisme/bassepointe.html > Ou bien encore ....vous y rendre :
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