Il semble qu'à la fin du XIXème Siècle, il existât une certaine contestation à l'encontre des « jouets » trop luxueux avec lesquels les enfants ......n'étaient pas autorisés à jouer  !  !  ! Nous voulons pour exemples la dictée de la petite Eugénie (voir  Poupées Koenig )
  et cet article de Jean RICHEPIN, paru dans la Revue Illustrée en 1886.   


( Tous les g
ravures et dessins qui suivent sont extraits de " Histoire des jouets " de H.R. d'Allemagne )

C’est Noël, avant coureur du jour de l’an, Noël, qui sème dans l’air les papillons blancs de la neige, mais qui sème aussi à travers cette neige les joujoux bariolés pareils à des fleurs aux pétales multicolores.

Savez-vous choisir les joujoux ? Y avez-vous jamais réfléchi seulement ? Non, sans doute. Vous les achetez au petit bonheur, sur le conseil du marchand, selon le mot d’ordre de la mode et vite, vite, comme on se débarrasse d’une corvée.
Vous avez tort. le choix des joujoux, grave affaire !

    Comme eût dit Hugo, question profonde !

 Les bons joujoux, les vrais joujoux, les seuls joujoux, les seuls enfin, ce sont les joujoux des pauvres.

" Ah ! voyez, voyez ! La boutique à treize, dix-neuf, vingt-  neuf, trente-neuf ou quarante-neuf sous ! Ah ! voyez, voyez !  "

    Le voilà, Le paradis des enfants. Si vous avez envie de vous amuser, vous, les grandes personnes, allez dans les magasins de jouets. Mais si vous tenez à leur faire plaisir, à eux, les moutards, entrez dans la boutique à treize, la seule où il y ait des joujoux.

Qu’est-ce que vous voulez qu’ils y comprennent, les chérubins, aux somptueux et ingénieux étalages des poupées du high life ? Vous seuls pouvez trouver un charme à ces salons en miniature, où il vous semble regarder la vie par le gros bout de la lorgnette. Vous seuls pousserez des oh! et des ah! devant ces musées Grévin, réduction Collas. Mais eux, les pauvres anges, à qui diable parleront-ils dans ce monde artificiel, absolument pareil au vrai monde ?

Il leur faut des êtres de rêve,de féerie, à cet âge divin où le chimérique seul est vivant. Pour en faire leurs compagnons et leurs amis, ces mannequins
perfectionnés ont trop l’air d’être en vrai.

Quelles conversations pourraient-ils bien échanger avec cette horizontale à perruque rousse, dont les joues de porcelaine sont maquillées, dont les lèvres rouges semblent fleurer la pâte de raisin, dont la robe est en vraie faille, les falbalas en vraie dentelle, et le coeur en vrai coeur, du vent sous la peau ?


Cette femme-là n'est pas faite pour eux.
Elle est faite pour les jolis messieurs qui posent dans son salon minuscule, sur des meubles lilliputiens aux capitons de soie réelle. Elle est faite pour ce coquet lieutenant, boudiné dans son uniforme battant neuf ; pour cet attaché d'ambassade décoré d'un camélia ; pour ce boursier dont le ventre bombe sous un gilet blanc ; pour ce délicieux rastaquouère aux larges favoris d'un noir bleu, à l'index étoilé d'un gros diamant ; pour ce suave ténor qui roucoule un air de Massenet devant un piano d'ébène contenant une boite à musique.





Vous vous extasiez, vous, les grandes personnes. Vous notez des détails exquis. Le lieutenant fume un cigare dont la cendre cache sous son gris satin une paillette de rubis. L'attaché d'ambassade a le monocle à l'oeil. Le boursier feuillette un petit carnet en cuir de Russie. Le rastaquouère est si pain d'épice, qu'il semble avoir de l'accent. Le ténor a le regard au plafond, la main gauche sur le coeur, le bras droit envolé. La dame, prête tomber en pâmoison, vient d'arrêter le mouvement de son éventail qu'elle tient d'un geste nonchalant, le petit doigt prétentieusement écarté et vaporeusement  en l'air.



" Est-ce étonnant !

-Admirable !

-Vécu !

-On dirait que c'est mis en scène par Sardou.

-On dirait un article de la Vie Parisienne.

-Oh ! le progrès ! "$
Oui, mesdames et messieurs, admirable pour vous ! Mais pour les enfants ?

Ah ! vous n'y pensiez plus, aux chers petits

Savez-vous ce qu'elle devrait leur jouer, la boite à musique du piano d'ébène ?

 Elle devrait leur jouer la vieille romance :

           
   " Enfants, n' y touchez pas ! "

N'y touchez pas, mignons ! vous dérangeriez leur five o'clock tea  !

Ce qu'il leur faut aux enfants, ce qu'ils pourront déranger, casser, ce sont les bons joujoux, les seuls joujoux, les joujoux des pauvres.

Ce qu'il leur faut, pour converser avec eux, pour s'en faire des compagnons et des amis, ce sont des joujoux taillés à coups de couteau, enluminés à la grosse, sentant le bois et la couleur, les joujoux vêtus à la six-quatre-deux, les joujoux fabriqués va-comme-je-te-pousse, les bonshommes et les bonnes bêtes à l'air gauche, à la mine naïve, aux formes chimériques, les seuls que leur imagination fait vivre d'une vie étrange et familière.

C'est l'antique Polichinelle, avec son nez en bec-de-corbin et un menton en casse-noisette, avec ses joues de pochard, ses petits yeux émerillonnés, son large rire qui lui sabre toute la face, et ses jambes et ses bras toujours moulinant et tambourinant ses deux bosses. C'est le caniche assis sur un soufflet, le chat aux yeux en billes de verre, le lapin qui bat de la caisse.

C'est l'Arlequin à deux sous, qui gambille follement dès qu'on tire la ficelle qui lui pend au bas du dos, comme une queue ; l'Arlequin multicolore habillé de morceaux d'arc-en-ciel ; c'est le singe culbutant au haut d'un bâton, ce merveilleux singe aux attitudes imprévues, désarticulées, qu'un enfant de deux ans fait mouvoir et qu'un homme,  le plus grave, ne peut regarder sans rire.


C'est la paire de forgerons qui cognent l'un après l'autre, éperdument, à tour de bras, d'un mouvement si bien rythmé qu'on croit entendre le han ! de leurs efforts.


C'est  la boite de soldats de plomb, ou, mieux encore, de soldats de bois, si bouffonnement raides dans leurs uniformes aux tons criards, si touchants avec leurs figures toutes pareilles et tristes, leurs jambes collées, leurs vagues regards immuablement fixés à quinze pas.

C'est la bergerie, et ses moutons frisés au canif, et son barbet portant comme un plumet sa langue écarlate en trompette, et les sapins en copeaux verts qui embaument la térébenthine quand ils sont neufs, et, quand ils sont vieux, la violette.

C'est le grand cheval peinturluré en rouge, le cheval sur lequel on monte à dada, le cheval dont les yeux bleus en faïence ont chacun quatre cils en soies de cochon, dont les oreilles sont en cuir verni, et dont la crinière en brosse, farouche et hiératique, poignarde le ciel comme celle des immortels coursiers du Parthénon.

C'est l'arche de Noël, pleine d'animaux rudimentaires, embryons et monstres aux aspects fantastiques, qui nous étonnent, nous autres, mais que les bambins reconnaissent tout de suite aux lignes initiales qui en figurent hardiment la synthèse.


C'est le diable, le cosaque, le croquemitaine, l'homme enfin, ce fantoche barbu, grotesque et terrible à la fois, qui jaillit soudain d'une boite carrée, cambré sur son torse en ressort à boudin, les mains grandes ouvertes, les bras gesticulant, le poil hirsute, tout le corps convulsé dans un tremblement d'épileptique, et qui fait si peur, si peur..... et qu'on aime à voir cependant ; car, dès qu'il est rentré, le nez écrasé sous son couvercle, on crie aussitôt : " encore ! encore ! "

Combien d'autres ! J'en oublie, sûrement. Ils sont légion. Tous pour les enfants ceux-là !

" Ah! voyez, voyez! La boutique à treize,dix-neuf, vingt-
neuf, trente-neuf et quarante-neuf ! Ah ! voyez, voyez ! "

Et pour les enfants des riches comme pour les enfants des gueux ! Ceux-là, tous les enfants les comprennent, tous les enfants leur parlent. Ils leur parlent dans leur langue à eux, bégayant et zézayant, leur langue jolie, rudimentaire aussi, et synthétique comme ces pantins. Et les pantins leur répondent dans cette langue, n'en doutez-pas.

Rappelez-vous ! Et si vous ne vous rappelez -pas, tâchez de retrouver chez vos grands-parents, dans un fond de malle, dans un bas d'armoire, en un coin du grenier, tâchez de retrouvez un de ces bonshommes ou de ces animaux, un débris d'eux seulement, une patte cassée, un ventre crevé, et vous verrez quel délicieux serrement de coeur on éprouve ! C'est comme de vieux amis perdus, qu'on croyait morts, et qui reviennent soudain, et avec eux reviennent les douces remembrances des jours vécus ensemble.



Comme ils étaient pour bons pour nous, ces vieux Porrichinelles, ces bêtes apocalyptiques, ces êtres invraisemblables ! Comme nous les aimions et comme ils nous aimaient ! Comme nos mains tremblent en époussetant leurs oripeaux fanés !

Comme nous sentons une larme furtive nous monter aux yeux, en
reconnaissant sur leurs chères figures la trace de nos coups et aussi la place de nos baisers !

Oh! Oui, Oui, ils ont vécu, ils furent des amis, ils nous ont parlé. Pour un peu, ils nous parleraient encore. Il le font, à voix basse sans doute, mais combien profonde et pénétrante, puisque voici qu'en les écoutant nous avons tout à coup doucement pleuré !


Ces amis, donnez-les à vos enfants ! Donnez-les à tous les enfants, à ceux des riches comme à ceux des gueux ! Laissez aux devantures les poupées du high life, les trop réelles imitations de la vie, le five o'clock tea en miniature mis en scène par Sardou; et revenez aux braves bonshommes,aux honnêtes animaux, taillés à coups de couteau, enluminés va-comme-je-te-pousse, vêtus à la six-quatre-deux !  

Donnez aux enfants ces compagnons de rêve qui les
amuseront aujourd'hui et qui plus tard leur chanteront encore la cantilène des souvenirs d'enfance ! N'oubliez pas que les bons joujoux, les vrais joujoux, les seuls joujoux, les joujoux, ce sont les joujoux des pauvres !

" Ah! voyez, voyez ! La boutique à treize, dix-neuf,    
vingt-neuf  trente-neuf et quarante-neuf !
Ah ! voyez, voyez ! "


    Jean Richepin



A ceux et celles qui ont eu le privilège de visiter le Musée Rural des Arts Populaires de Laduz dans l'Yonne, cet article évoquera certainement ce qu'ils ont pu y admirer, retrouver l'émotion qui fut certainement la leur en voyant certains jouets dits maintenant " d'autrefois" et qu'aujourd'hui, pourtant, nous avons tous et toutes connus ou vus pour les avoir désirés ou avoir même joué de longues heures avec eux.

Merci à Suzanne Gautrot qui nous a signalé cet article  de 1886.


Poupendol




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31 Mars 2012