Un de mes amis a découvert  et m' a prêté une ancienne carte postale espagnole, représentant les :

“Munyaques comprades per George Sand a Mallorca y donade a la cella per la seva neta”.

Ce qui signifie qu’Aurore Sand, la petite fille de George, a donné pour le musée de la Chartreuse, les poupées achetées, vers 1838-1839, à Mayorque par George Sand. Ces poupées ont conservé l’ancien costume des habitants de l’île.
Ces poupées ont probablement une tête et des mains en bois, nous ne le savons pas précisément, mais profitons-en pour rafraîchir nos souvenirs scolaires sur Amandine-Aurore-Lucile Dupin, baronne Dudevant,  dite George Sand.

Elle est née à Paris en 1804, mais elle a passé son enfance à Nohant, petit village du Berry.

A 17 ans, après plusieurs décès dont celui de sa grand-mère, elle devient maîtresse de la propriété berrichonne, et financièrement parlant, elle est libre..

Elle épouse le baron Casimir Dudevant.

“Il ne me parlait  point d’amour et s’avouait peu disposé à la passion subite”, mais “je ne pouvais pas ne point regarder bientôt Casimir comme le meilleur et le plus sûr de mes amis”.

Ils auront deux enfants, Maurice et Solange.

Jules Sandeau, un homme de lettres de ses amis, lui propose de collaborer à “Rose et Blanche”, un roman qui paraîtra en 1831. Elle prend alors conscience de son talent, en écrivant “Indiana” (1832), seule et sous le pseudonyme de Sand (abréviation de Sandeau).

Elle ne supporte plus les obligations familiales et étriquées, elle s’enfuit pour vivre à Paris, car " c’est seulement à Paris, qu’une femme sensible peut connaître une passion sans être bridée par l’égoïsme masculin ."

Elle se veut aussi libre qu’un homme ! Cela est très mal vu et pas du tout compris dans la bonne société du XIXe. Mais qu’importe !

Elle s’habille en homme, recherche les amitiés masculines, provoque des   discussions philosophiques sur les Lumières, ou sur Jean-Jacques Rousseau. L’homme est-il bon lorsqu’il est sauvage ?

Sa liberté de mœurs scandalise, même à Paris. Après une liaison orageuse avec Alfred de Musset, elle devient, en 1837, la maîtresse de Chopin.

Pour soigner Maurice, son fils malade, et Chopin, (“on le croit phtisique”) George prépare un voyage vers le soleil , réputé bénéfique. Elle choisit les Baléares pour son climat, et séjourne à la Chartreuse de Valldemosa. C’est durant ce séjour que se situe l’achat des poupées.

Une fois rentrée en France, George Sand organise intelligemment pour Chopin une vie plus saine, passant les mois d’hiver à Paris, et les mois d’été dans la bonne campagne de Nohant.


Pour les amants, cette période (1838-1847) est riche d’une intense activité créatrice : “Ballades” , “Scherzos”, “Préludes”, “La Barcarolle” , entre autres pour Chopin; “Le compagnon du tour de France” (1840), “Consuelo” (1842), “La mare au diable” (1846), entre autres pour Sand.

Mais le caractère difficile de Chopin, ses sautes d’humeur, ses impatiences, et surtout ses irritations continuelles envers Maurice font que George Sand intervient en faveur de son fils. La séparation est inévitable.

Laissons à d’autres la George Sand politique qui rêve et cherche à répandre les idées saint-simoniennes ou socialistes de Leroux, Barbès ou Blanqui ; elle va jusqu’à fonder un journal, “La cause du peuple”, dont le titre est déjà tout un programme. La révolution de 1848, le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte brisent ses dernières illusions. La générosité politique débouche dans la violence et dans les rapports de force.

Elle se retire dans son cher Berry et crée à Nohant une ambiance amicale chaleureuse qui séduit Dumas fils, Flaubert, Gautier, Tourgueniev.

Pour tous, elle est devenue “la bonne dame de Nohant” , cherchant inlassablement le bonheur de ceux qui l’approche

Le 10 juin 1876, le jour de ses obsèques, on pouvait voir, réunis, les paysans de Nohant et les célébrités parisiennes.

Flaubert écrivait : “Il fallait la connaître comme je l’ai connue pour savoir tout ce qu’il y avait de féminin dans ce grand homme, l’immensité de tendresse qui se trouvait dans ce génie”.

Terminons avec quelques citations de George Sand, ayant trait aux poupées :
“Je me rappelle d’une manière plus nette l’ardeur que je prenais aux jeux qui simulaient une action véritable… On mettait en lambeaux les poupées, les bonshommes et les ménages, et il parait que mon père avait l’imagination aussi jeune que nous… Il disait  à  ma  mère  :

“Je t’en prie,  donne un  coup de  balai  au champ de bataille de ces enfants…cela me fait mal de voir par terre ces bras, ces jambes et toutes ces guenilles rouges.....Nous ne nous rendions pas compte de notre férocité, tant les poupées et les bonshommes souffraient patiemment le carnage”. (Histoire de ma vie, IIe partie, chapitre XI,  N.R.F, La Pléiade).

“Ce qui me serra véritablement le cœur pendant les premiers moments du voyage (vers l'Espagne en 1808. Le père de la petite Aurore agée alors de 4 ans, étant  aide de camp de Murat) , ce fut la nécessité de laisser ma poupée dans cet appartement désert, où elle devait s’ennuyer si fort.....Le sentiment que les petites filles éprouvent pour leur poupée est véritablement assez bizarre, et je l’ai ressenti si vivement et si longtemps que, sans l’expliquer, je puis aisément le définir…

Du moins, quant à moi, je ne me souviens pas d’avoir jamais cru que ma poupée fût un être animé : pourtant j’ai ressenti pour certaines de celles que j’ai possédées une véritable affection maternelle… Ils (les enfants) ont besoin de soigner ou de gronder, de caresser ou de briser ce fétiche d’enfant ou d’animal qu’on leur donne pour jouet, et dont on les accuse à tort de se dégoûter trop vite.  En les brisant, ils protestent contre le mensonge…

Comment l’enfant aurait-il pitié de cet être qui n’excite que son mépris ? Plus il l’a admiré dans sa fraîcheur et dans sa nouveauté, plus il le dédaigne quand il a surpris le secret de son inertie et de sa fragilité.

J’ai aimé à casser les poupées, et les faux chats, et les faux chiens, et les faux petits hommes, tout comme les autres enfants.

Mais il y a eu par exception certaines poupées que j’ai soignées comme de vrais enfants. Quand j’avais déshabillé la petite personne, si je voyais ses bras vaciller sur les épingles qui les retenaient aux épaules et ses mains de bois se détacher de ses bras, je ne pouvais me faire aucune illusion sur son compte, et je la sacrifiais vite aux jeux impétueux et belliqueux; mais si elle était solide et bien faite, si elle résistait aux premières épreuves, si elle ne se cassait pas le nez à sa première chute, si ses yeux d’émail avaient une espèce de regard dans mon imagination, elle devenait ma fille, je lui rendais des soins infinis, et je la faisais respecter des autres enfants avec une jalousie incroyable”.


Mais la famille Sand nous retient encore.

En 1916 , (L'Art français moderne -Les Jouets de France -, N° 2, septembre 1916), presque cent vingt ans plus tard, Mme Lauth-Sand ( Mme Aurore DUDEVANT, épouse de M.Fréderic LOTH, est la fille de Maurice DUDEVANT, fils de George SAND ) a créée une poupée en chiffon, dont on disait qu’elle était une “ pièce de  collection… Assurément, il est de riches privilégiés qui n’hésitent pas à payer  un jouet plus de deux cents francs ... Bien qu’il soit possible de donner un caractère industriel … à cette production, d’en réduire les prix....-  nous savons que telle est l’intention de l’auteur -, nous considérons celles qui ont été  placées sous nos yeux comme des œuvres d’art. La demoiselle à marier dont  les yeux noirs apparaissent plus profonds dans sa robe de mousseline  blanche, la bayadère persane, les gitanes à la peau brune, au lourd chignon  piqué d'une fleur rouge, laissent dans l’esprit le souvenir de types rencontrés au coin de quelque rue ensoleillée…

Elle a modelé elle-même, d'une main incroyablement adroite,en chiffons recouverts d'un crépon brodé ou d'une peau de Suède, ces visages allongés au lourd menton, aux yeux languissants .... Les costumes reproduits avec une  scrupuleuse fidélité, sont pour la plupart faits d’étoffes du pays, on a poussé  le soin jusqu'à ne pas couper les tissus. pour en respecter la structure, et c'est avec de courts fichus de cou qu’ont été fabriqués les châles où se drapent ces mignonnes filles de l’Andalousie.… "

Albert BAZIN




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Albert BAZIN 1997